Alta - Lundi 11 Juin 2013
En parcourant un peu mon blog
aujourd’hui je trouve que j’ai été plutôt bavard. Plus qu’au quotidien en tout
cas, c’est certain. Même si je pense que
les personnes qui parlent beaucoup ne sont pas forcément celles qui ont le plus
de choses à dire. Cette fois promis, c’est la dernière.
Comment jeter un œil dans le
rétroviseur à l’aube de rentrer, et d’effacer en quelques milliers de litres de
kérosène ces kilomètres chèrement acquis ?
Le meilleur moyen est-il encore
sans doute de coucher sur le papier les idées comme elles me viennent,
agrémentées de passages et citations de livres qui m’ont accompagné, ou d’émissions
entendues. Parfois les choses sont exprimées d’une manière si belle qu’on ne saurait les dire autrement.
J’aimerai commencer par évoquer
ce blog (bien que ce mot ne soit pas très joli), puisque c’est à priori la
raison qui fait que vous lisez ces lignes en ce moment même. Exercice
particulier pour moi qui n’avait prévu initialement que de mettre quelques petites
nouvelles rapides et des photos pour la famille et les proches. Force est de
constater que les premiers retours positifs ont eu pour effet de m’encourager à
poursuivre. J’avoue, cela n’a pas été toujours facile de s’y tenir ! La
fatigue après une journée particulièrement longue, l’absence de prise
électrique ou d’internet, une rencontre fortuite, ou tout simplement le manque
d’inspiration m’ont parfois incité à y passer moins de temps.
Mais je me suis très vite aperçu
que cette ascèse quotidienne était non seulement une belle opportunité de
garder une trace du voyage (au même titre que le carnet papier), mais surtout
une merveilleuse façon de partager mon quotidien. Car oui, voyage en solitaire
et partage ne sont pas antinomiques, mais complémentaires. Tout comme on
associe le chaud et le froid, le Yin et le Yang, l’envers et l’endroit….j’ai
trouvé mon équilibre entre ces deux façons d’appréhender la route.
Familles, amis, patients, inconnus,
visiteurs de passage, vous qui avez laissé des messages ou simples lecteurs je
tiens ici à vous remercier chaudement car, d’une certaine façon, vous avez été
en partie mon moteur au cours de ce projet (même si mes jambes restent loin
devant, désolé).
Que je les ai apprécié les petits
commentaires laissés ça et là, et qui me faisaient persévérer lorsque parfois c’était
plus dur, ou au contraire me donnaient des ailes lorsque tout allait bien. Je n’exagère
pas en disant que c’était mon dopant le plus puissant, ce qui m’aura valu d’ailleurs
un hors forfait assez sympathique ! La data à l’étranger, même épisodique
c’est cher, mais au milieu du Finnmark ça marchait pas mal, merci les
satellites.
Quel aurait été l’intérêt d’écrire
un blog sans avoir de lecteurs ? La simple satisfaction narcissique étant
écartée, il reste le partage et c’est là que mon voyage a aussi pris tout son
sens. J’ai tenté de retranscrire avec la plus fidèle exactitude les émotions,
les sentiments, les pensées que je pouvais ressentir et je me suis surpris à
réellement apprécier cet exercice. J’ai toujours bien aimé écrire, aussi loin que je me souvienne. Par chance c’était
sujet libre tous les jours et les sources d’inspiration n’ont pas manqué, c’est
le moins que l’on puisse dire. J’espère – et au vu des retours ça semble être
le cas – que vous vous êtes autant régalés à lire mes articles que j’ai eu à
les écrire. Franchement moi je me suis éclaté !
Sur un plan plus personnel, et
même si c’est facile de dire ça maintenant que le but a été atteint, je n’ai
jamais douté de la réussite du projet. Certes, tout comme le relief norvégien,
il y a eu des hauts et des bas, à la différence près que moi j’ai été beaucoup
plus souvent au sommet. Et ce n’était pas gagné, car, lorsque l’on prépare un
voyage ou un projet en règle générale, on s’y projette déjà avant le départ, et
c’est bien normal. On le rêve, on le fantasme on le vit déjà par procuration et
la réalité peut parfois s’avérer différente, ce qui est une source de
frustrations possible.
Je n’aurai pas imaginé un seul
instant que tout concorde à ce point avec les désirs que j’avais eu au départ.
Tout s’est enchaîné comme une machine bien huilée, et la Providence des
situations m’a surprise plus d’une fois, je me suis souvent répété que j’avais
dû être né sous une bonne étoile. Mais à bien y réfléchir non, ce n’est pas le
hasard. En tout cas, ce n’est pas que
le hasard j’en suis persuadé. Il y a certains choix que l’on fait, certaines
décisions que l’on prend, certains sourires que l’on donne qui modifie parfois
le cours d’une journée.
« Quand on veut une chose, tout l'Univers conspire à nous permettre de réaliser notre rêve. ». Cette parole fut dite à Santiago par le Roi de Salem, dans l'Alchimiste. Et s’il avait raison ?
Mais au fond, que voulais-je
vraiment ?
Aller au Cap Nord certes, par un moyen noble que représente
pour moi le vélo. Pas de triche possible. Ici on se mue par sa propre énergie,
on se hisse en haut des cols à la force des mollets, on se mesure au vent et
seules les descentes tant appréciées nous offrent un repos salvateur (à
condition que le vent ne nous oblige pas à y pédaler là aussi !). Un
déplacement à échelle humaine, une vitesse suffisamment rapide pour ne pas être
englué dans les paysages mais suffisamment lente pour apprécier les changements
qui s’y opèrent.
Aller au bout d’un continent a
bien entendu une portée symbolique, les bouts du monde sont toujours chargés d’Histoire.
Mais le chemin importe plus que la destination.
Pourquoi donc aller finalement là
où il n’y a rien ? Est-ce là un vain effort ? Je citerai Anne-Laure
BOCH dans son ouvrage « Petites considérations sur la montagne et le
dépassement de soi » qui traite de l’alpinisme mais qui s’inscrit dans la
même approche. Il suffit de remplacer alpinisme par voyage à vélo !
« L’alpinisme n’est donc
pas un vain effort. Au contraire, il porte en lui-même son sens et toute sa
récompense. Le sens lui est immanent, interne. Déplacer, un tant soi peu, ses
limites physiques et morales est source d’une joie profonde, où la sensation d’accomplissement
voisine avec une impression de plénitude et d’harmonie. Plus qu’une impression
d’ailleurs, c’est une certitude : en se haussant physiquement sur les sommets,
on se hausse moralement sur l’échelle des valeurs dont ils sont le symbole
géographique. De là vient sans doute le sentiment de concordance avec le monde,
de réconciliation avec le grand tout, qui est la récompense suprême. Ainsi cet
effort, que beaucoup jugerait inutile, est en définitive pour moi hors de prix.
Car il engage profondément l’être, et la valeur de l’être, réconciliant avec
soi-même, avec l’estime que l’on a de soi ».
J’ai tellement adoré les moments passés seuls, à ne rien faire sinon
pédaler et admirer le paysage pour ce qu’il était. Laisser les idées aller et
venir, les laisser prendre forme, s’échapper, s’entrechoquer, s’enlacer….. Il y
avait parfois comme une forme de « méditation contemplative » qui se
suffisait à elle-même, lorsque tout semblait être en harmonie, chaque chose à
sa place. Et moi au milieu de ce théâtre à ciel ouvert.
Prendre le temps de perdre son temps…..le laisser filer et avoir la
certitude que chaque heure passée était réellement vécue.
Redevenir maître de son temps, de son existence et donc de la qualité
de sa vie et de son rapport au monde.
Mettre l’accent sur une certaine lenteur, dans un monde qui va sans
cesse de plus en plus vite, au risque de nous dépasser et d’en perdre le sens.
Le temps, l’espace et le silence sont je crois les trésors de nos années
futures.
Sensation d’être le roi du monde après huit heures à pédaler, les
endorphines sont là et rien ne peut nous arriver…
Parler de méditation est peut-être un grand mot, en tout cas passer du
temps avec soi-même et apprendre à se connaître. Sans obligation, sans
interférence, sans le regard des autres.
On est d’ailleurs toujours étonné, à posteriori, de ce qu’on s’est
révélé capable de faire. Rouler tant de kilomètres, tenir avec un seul litre d’eau,
improviser un bivouac peu confortable…
Et pourtant, on a survécu à cela ! Et on s’en est même très bien
remis, repartant le jour suivant pour de nouvelles aventures, qui seront l’occasion
de pousser les limites un peu plus loin, peut-être.
« Chercher à retrouver une vérité que le monde moderne occulte et
mutile sans ménagement. Le but c’est de construire, le temps d’un voyage, un
rapport au monde et à soi-même dépouillé de l’artifice qui empreint tous les
aspects de la vie moderne »
Les bivouacs par exemple en auront été le témoin. Dans la neige
presque, avec de l’eau dans la tente au petit matin, mais aussi face aux
fjords, aux étendues infinies, aux reflets des glaciers….je n’aurai pour rien
au monde échangé tout ça contre un hôtel cinq étoiles. Ce qui ne signifie pas
qu’une nuit dans un bon lit n’a pas été appréciée, au contraire elle le fut
doublement.
Retrouver son âme d’enfant, cette curiosité qui la caractérise et s’émerveiller
des petites choses. De ces petites choses que nos yeux ne voient plus. Si proche et pourtant si loin.
Être impatient de découvrir ce qui se cachait derrière le prochain
virage, la prochaine montagne, le prochain pont sans jamais être rassasié.
Il y a forcément une sensibilité accrue qui se développe à être dehors
en permanence. Les éléments auxquels on est confrontés balayent la carapace qui
nous protège en des temps ordinaires. Les émotions sont à fleur de peau.
C’est aussi en cela que les rencontres s’en trouvent facilitées. Sans
artifice, on va plus facilement à l’essentiel. Et en allant à l’essentiel,
souvent on se comprend mieux. Je n’aurai pas pensé rencontrer autant de
personnes sur ma route. Des dizaines de mains tendues, l’espace d’une minute, d’une
heure, d’une soirée ou d’une journée. Des inconnus dont la porte m’a été d’emblée
grande ouverte, réchauffant le cœur sans refroidir la pièce. Des kilomètres
partagés spontanément, des conseils glissés entre deux virages, un morceau de
pomme de la main à la main, un thé chaud, un sandwich…c’est le plus beau des
cadeaux. L’envie aussi de renvoyer l’ascenseur.
Comment après tout ça ne pas avoir une confiance inébranlable dans l’avenir ?
Je ne suis pas naïf, loin de là, et il est évident que le quotidien va
très vite reprendre ses droits et avec lui les habitudes qui vont avec. Mais je
pense qu’il est possible d’essayer de garder certaines valeurs, un certain cap
de vie comme j’ai essayé de le faire avant même ce voyage.
On ne peut pas tout vivre, il faut vivre l’essentiel, et chacun de
nous à son essentiel.
« Nous sommes
continuellement en train d’immerger de notre passé, nous sommes continuellement
en train de nous révéler à nous-mêmes, de nous réinventer. Nous sommes toujours
en train de naître, toujours en chemin, toujours inachevés.
Nous sentir vivre, nous sentir
pleinement conscient, ressentir des émotions, plonger dans nos souvenirs, nous
projeter dans l’avenir, vivre des expériences imaginaires, voyager mentalement
à travers l’espace et le temps, laisser notre esprit vagabonder, rêver,
réfléchir, penser, méditer, créer. Avec en permanence cette sensation, cette
certitude que c’est de nous qu’il s’agit "
Ce voyage m’a apporté beaucoup
plus que je ne l’aurais imaginé je pense, au-delà de mes espérances. J’en
reviens serein, pas du tout triste que tout cela soit terminé bien
au contraire. D’autres projets viendront sans doute, c’est ce qui fait avancer
dans la vie. A deux ? Je l'espère...
S’il y avait un petit message à
faire passer, alors ça serait celui-là : vivre ses rêves et ne pas rêver
sa vie les yeux ouverts. Se lancer, oser, entreprendre, se montrer toujours
curieux, aller de l’avant, et voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié
vide.
Nous avons tous notre
Légende Personnelle, enfouie au plus profond de nous, et je crois qu’il n’y a pas d’âge
pour la réaliser.
Devenir ce que nous sommes. Devenir le poète de notre propre existence.
Devenir ce que nous sommes. Devenir le poète de notre propre existence.
«Et si le voyage à vélo était un luxe.
Le pendant libre de notre monde réglementé. Le pendant spirituel de notre monde
matérialiste. Le pendant généreux de notre monde utilitariste. Le pendant
excitant de notre monde ennuyeux.
Moi-même, je suis parti à
l’assaut des montagnes en croyant naïvement que j’allais conquérir le monde. Et
c’est mon propre monde intérieur qui s’est révélé au bout de cette quête. La
tentation de la toute-puissance a sombré au passage. Ne s’en plaindront que
ceux qui n’ont pas ressenti cette euphorie des cimes qui est la plus belle des
récompenses. »
Ju
Ju