lundi 10 juin 2013

Nordkapp, last and perfect day...

 Le curseur clignote depuis trop longtemps sur la page blanche. On est lundi 10 Juin et je n'ai pas très envie d'écrire les articles qui vont suivre. Ou plutôt je ne sais pas comment m'y prendre. Un point final est toujours difficile à poser. Une histoire a toujours une fin. Alors je m'y risque.

J49  Samedi 8 Juin 2013  Alta - Bord du fjord après Olderfjord  129 km

Contrairement à mes prévisions de la veille je ne parviens pas à décoller de bonne heure ce matin. Une petite pluie temporaire et le petit-déjeuner avec un motard allemand en sont en partie responsable.
10h, je rejoins le centre d'Alta et j'en profite pour repérer l'aéroport pour mercredi. Par la même occasion, je m'arrête dans un magasin de vélos pour leur demander simplement de me mettre un carton de côté pour mon vol en avion. Pas de souci pour eux, je passerai le prendre à mon retour ici.



Il fait gris mais bon, la route chemine le long du fjord avant de serpenter lentement, je m'élève petit à petit du niveau de la mer, ça y est les derniers villages sont derrière moi. Progressivement la végétation change sensiblement, les arbres se font plus rares.
Puis d'un coup les perspectives s'ouvrent, la vue se dégage devant moi. Je roule sur les hauts plateaux du Sennalandet. Des longues lignes droites de 20 à 30 kilomètres à perte de vue, la ligne jaune au milieu comme seule démarcation. Rien aux alentours. Pas âme qui vive, aucun village.

C'est une sensation étrange et particulière que d'évoluer ici. L'impression d'évoluer vers un horizon immobile malgré les efforts déployés, malgré les coups de pédales volontaires, malgré l'objectif qui se rapproche. J'ai tant voulu éprouver ce genre de sensations que ça m'en donne des frissons.
Les premières indications du Nordkapp font leur apparition.





Il y a un peu de trafic en ce samedi, beaucoup d'Allemands et de Norvégiens bien sûr, mais je pense que les Français complètent le podium. Des Suédois, Russes, Finlandais, Autrichiens...ça vient d'un peu partout. Certains me doublent de trop près, je rouspète et fait de grands signes dans le vent....ils sont déjà bien loin.
Je croise même un suisse, sur un petit tracteur, qui tracte une roulotte en bois à 15 km/h. Complètement incroyable !

Je m'imagine la vie ici en hiver, les quantités de neige incroyable qu'il doit y avoir et la dureté de la vie dans ces contrées désertiques. Qui vit ici ? Comment ? Que font-ils ? C'est un vrai mystère à mes yeux et m' inventer la vie de ces Samis (aussi appelés Lapons mais de façon plus péjorative) est un jeu fascinant. Les motoneiges remplacent les voitures, les tipis se détachent du paysage.....

Etrange....







 Après de looooongues heures, j’atteins Skaidi où j'en profite pour me ravitailler dans l'unique station service qui fait tout. Il est 18h, le vent m'épuise depuis ce matin, j'ai envie de dormir là tout de suite. Les trop peu nombreuses heures de sommeil commencent à compter je crois. Je me pose un peu sur un banc, mange un morceau et me force à repartir. Si je veux y être demain il faudrait que je roule encore 30/40 km ce soir. J'arrive à me mobiliser et avance, bêtement ai-je envie de dire. Je baille sur le vélo, grapille kilomètre par kilomètre, et tente de faire voyager mon esprit avant moi, en éclaireur. Olderfjord se dessine, il y a un camping où il serait tentant de s'arrêter. je me mets des œillères imaginaires pour ne pas le voir.

Virement de bord, à droite toute le long du fjord Porsangen et le vent me saisit violemment. Je suis à 6/8 km/h lorsqu'il est parfaitement de face, les efforts sont vains. Je ne sais comment va évoluer le relief et si je trouverai un endroit où me poser.

21h, 130 km, je plante la tente comme je peux avec des cailloux sur ce sol dur à quelques kilomètres de l'eau. Je n'ai pas faim, juste sommeil....je me glisse tel quel dans mon sac de couchage et plonge en rêvant que le vent tourne pour demain.


J 50  Dimanche 9 juin   Même bord de fjord - Nordkapp   124,5 km

1h30 du matin je suis réveillé.....je regarde deux fois ma montre....ce n'est pas possible. Je viens à peine de dormir 3h et déjà Morphée ne veut plus de moi. Pas de doute, mes cycles sont perturbés ! Je me rendors un peu, mi veille-mi sommeil. C'est comme pour les veilles de courses, l'adrénaline est tellement là qu'il n'y a pas besoin de réveil.

7h je décolle, le temps est clément et le vent semble s'être assagi il faut réellement en profiter. Je fais un brin de toilette (ce qui signifie un coup d'eau sur le visage soyons précis ! ) et le plein des bidons à côté d'un magasin de souvenirs qui n'est plus utilisé et que m'avait conseillé Anthony, un cyclo hongrois il y a de ça plus de 300 km. C'est marrant !



Alors que je repars, un cyclo Polonais vient me voir. Il est parti depuis un mois, revient du Nordkapp et repart vers la Finlande, la Russie, la Géorgie, les Balkans, la Roumanie....pour 5 à 6 mois. C'est un habitué des voyages au long cours, encore une fois dans ce genre de rencontres le contact s'établit facilement. Je suis donc invité à rouler chez lui en Pologne un de ces jours ;)  Bon vent l'ami.


 Alors que nous bavardions, un autre cycliste est passé, vers le Nord comme moi. Je me dépêche et le rattrape. C'est un allemand qui est parti depuis 1 mois de Brême. Je lui demande si ça le dérange que nous faisions un bout de route ensemble. Pas le moins du monde ! Edzard a 69 ans et sans le savoir nous allons rouler 80 km ensemble.
Ce partage de la route a littéralement illuminé ma dernière journée. Edzard a travaillé pendant 10 ans comme officier nautique sur des bateaux, et depuis qu'il est en retraite voyage en vélo régulièrement. Et on peut dire qu'il a la condition. Mis à part dans les côtes, nos rythmes sont sensiblement équivalents et les kilomètres défilent. Il parle super bien anglais, toujours avec le sourire, plein de petites anecdotes, c'est un régal !





Tandis que nous nous arrêtons manger, il me crie "Look look !", il y a un dauphin qui fait des ronds sur le bord du fjord. Nous l'apercevrons une ou deux fois encore. Génial.
La route continue, Edzard me chante "Frère Jacques" à tue-tête dans un tunnel, j'explose de rires. Nous pénétrons sur Nordkapp Kommune, soit l'équivalent de notre canton, en plus étendu.









Puis le gros morceau arrive, j'ai nommé le Nordkapptunnelen. Il est un peu au Cap Nord pour les cyclos ce que le Cirque de la Solitude est au GR20 pour les trekkeurs. Un petit mythe ;)


Imaginez, une ligne droite de 6,8 km complètement rectiligne qui descend 212 mètres sous la mer. 3 km de descente à 9%, 800m de plat, 3 km de montée à 9%.

Lumière, frontale, gants...tout est ok nous voilà parés ! Sa lumière avant étant défaillante nous franchissons les tunnels ensemble, moi en premier. La descente est assez vertigineuse, il faut faire super gaffe car évidemment la chaussée est trempée, c'est la pénombre malgré l'éclairage et il fait très froid. Ne pas prendre trop de vitesse surtout. Il y a aussi des turbines qui envoient de l'air et produisent un son phénoménal, puisque ça résonne de partout. Il est impossible de savoir de quel côté viennent les voitures.

J'ai eu l'impression sur la partie plane d'être un petit moineau au bout de la piste 17 de l'aéroport Roissy - Charles de Gaulle, avant le décollage du Boeing 747 en partance pour New-York. Soit pas grand chose ! Les jambes un peu congelées, la montée les réchauffent vite et finalement une demie-heure après notre entrée on voit la lumière du jour.

Non mais en vrai, c'est comme le GR 20, c'est un passage qui peut être impressionnant, mais si on ne le prend pas en dilettante, ça passe tout seul !

Peu après la sortie, je me change, Edzard part un peu devant. Et là les amis, le moment tant attendu arriva. Il m'aura fallu attendre 50 jours et 4820 kilomètres, pas moins pour que je croise enfin "ma" première norvégienne, jeune, sportive, solitaire et en vélo. Après réflexion, c'est vrai qu'il y avait beaucoup de critères !
Elle se faisait un peu de souci pour le tunnel, je l'ai rassuré comme je l'ai pu. Elle allait tout au Sud de la Norvège, j'ai "failli" faire demi-tour et l'accompagner....mais j'ai été raisonnable ;)


Ensuite, nous sommes arrivés à Honninsvag et j'en ai profité pour me ravitailler. Edzard s'arrêtait là et préférait aller au Cap Nord demain. Il m'a payé un chocolat chaud et offert un porte-clé de marin, merci !


Il ne me restait plus que les 30 derniers kilomètres. Un dernier baroud d'honneur où je vais en profiter pour faire le pitre sur les pancartes au fil de ma progression...



C'est en fait une vraie étape de montagne. La route n'en finit pas de monter raide, puis redescendre tout aussi sec et ainsi de suite. Tout le monde klaxonne, fait des signes, s'arrête pour m'encourager.....c'est trop bon. Soudain le brouillard surgit, la température s'abaisse il fait 5°C, ça caille, on ne voit pas à 100m. Je m'imagine dans une étape du Tour des grands jours, là où les conditions sont difficiles.


J'avance avec l'énergie du désespoir, le vent de côté m'envoyant plusieurs fois sur le bas-côté de la route. sentiment bizarre de vouloir y arriver le plus vite possible et en même temps vouloir que ça se prolonge indéfiniment. Au bout du nuage, c'est la fin.

Après une ultime rampe, je vois enfin le panneau. " Putain mec, ça y est t'es au Cap Nord ! "


Je me dirige vers le péage (faramineux, le droit d'accès au site coûte l'équivalent de 35 euros, honteux ! ) prêt à payer malgré tout. Au bout du rouleau, crevé, le gars dans sa guérite me demande d'où je viens etc...et me dis "t'as fais un long voyage pour venir jusqu'ici aujourd'hui, c'est gratuit pour toi ! "
Je pense que c'est un peu la coutume pour les cyclos...


J'avance plein d'émotion, fendant le brouillard, tendu vers le seul objectif qui m'importe : voir le globe. Et le brouillard épais ne m'empêche pas d'être bien chamboulé quand j'arrive à ses pieds.
Brrrr y'a pas à dire ça fait quelque chose........
Il n'y a quasiment personne, la visibilité est quasi nulle, je prends quelques minutes pour moi pour me remémorer tout le chemin parcouru pour être ici, maintenant.

Alors, un gars me donne une tape sur l'épaule et me dit 'You did it man ! ". C'est un allemand, qui avec sa femme me voit depuis plusieurs jours sur la route et m'ont reconnu. Ils me félicitent et on fait les photos d'usage. Tant pis pour le temps, je veux les faire avec les émotions de l'instant.

Ce moment là est unique. Et il est à moi.


Noémie, tu peux dire à ta grand-mère que son drapeau a fait un joli voyage !



Puis tout se précipite un peu, Reynhold fait des photos avec son appareil qu'il m'enverra, je mange un peu, me change vite au chaud et profite de l'immense centre où l'on trouve une poste, une boutique de souvenirs, des expos, des restaurants.....

Je peux le dire, ce soir j'étais un peu fier de moi c'est vrai :)

Je plante la tente en contre bas du parking des campings-cars, demain j'ai prévu de rester ici.

Ju

11 commentaires:

  1. J'ai presque les larmes aux yeux en lisant le dernier récit de cette épopée fantastique!! Encore bravo!! Bisous, Ju

    RépondreSupprimer
  2. Mon Dieu! que c'est dur de lire vos derniers résumés, on sens tant de peines malgrè toute la joie d'être arrivé a votre but, Mais toutes les bonnes choses ont une fin, c'est ce qui les rend encore plus géniales, car sinon ça deviendrait de la routine et donc on les apprécierait beaucoup moins. Et puis je crois qu'il est temps de vous reposer un peu car les dernières journées ont été très dures. Allé a bientôt en Haute Savoie NOTRE CHAMPION............Christiane

    RépondreSupprimer
  3. wahooo... qd je vois l'émotion qu'on peut avoir après tout juste 25h de courses, je n'ose même pas imaginer a quelle altitude était le petit nuage sur lequel tu étais perché !
    Et je t'en souhaite encore plein des petits nuages comme celui là et j'avoue, ch'suis jaloux ! :D

    RépondreSupprimer
  4. ben moi.......j'ai eu les larmes aux yeux..........même pas honte de le dire !
    j'adore cette phrase : ce moment là il est unique et il est à moi !
    profite de tes derniers jours là-bas !
    mets-nous un autre article avant ton départ : on n'a pas envie que ça s'arrête !
    bonne soirée
    prépare-toi au retour je crois que c'est important aussi
    A très bientôt j'espère !
    marie-o

    RépondreSupprimer
  5. Un peu comme toi, difficile de trouver les mots pour décrire ce que je ressens en te lisant.... je sais pas si tu en as marre des bravos, mais en tout cas merci, ces 50 jours que tu nous as "offert", ou tout du moins partagés, sont un régal.
    Sincèrement content, content de ta réussite, content de savoir tout ce que tu as dans les trippes, content pour toutes ces rencontres, content pour tout ce que tu t'es mis dans tes yeux, content de ces cuisses que tu t'es forgées, et bien sûr content de te revoir un des ces 4 j'espère !!
    T'es un mec bien
    Bon retour
    Bertrand du jura

    RépondreSupprimer
  6. oh que oui tu peux être fier de toi.
    j'espère que le brouillard va se lever pour demain...
    à bientôt.
    Thomas.

    RépondreSupprimer
  7. Félicitations bro'. Le mec il se donne 3 mois pour monter tout en haut, il met 1 mois et 1/2. Normal. Grosse machine. Maintenant que tu es arrivé au bout, comme l'ont déjà dit tant d'autres, c'est vrai que ça va faire bizarre de ne plus avoir d'articles à lire le soir, de ne plus pouvoir suivre cette épopée. Merci à toi d'avoir pris le temps, d'avoir eu la patience de poster des longs et beaux articles jusqu'au bout, c'était génial.
    Au-delà du voyage en lui-même, toutes ces rencontres, tous ces lieux traversés, tout cela ça devrait te rester gravé pour toujours. Tu as traversé tellement de lieux, vécu tellement de situations et rencontré tellement de monde... T'imagines pas à quel point j'aurais aimé le faire avec toi. Tiens, pour le coup Schengen rend on ne peut mieux!

    Hâte de te revoir, que tu me racontes tout ton périple en détail. Je reprendrai les mots de Reynhold parce que je les trouve juste trop top : "You did it man!"

    Tu peux être fier de ce que t'as fait. Tout comme je peux être fier de mon frangin.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. qui sait ? on parlera peut-être de vous deux dans un prochain blog ? Antoine après la fin de tes études et quelques années de travail et Julien en continuant comme tu as déjà bien commencé !
      Je vous le souhaite en tout cas !
      Je pense que vous aurez beaucoup de choses à vous dire tous les deux !
      Sympa que deux frangins puissent partager ce même goût de l'aventure !
      allez, bisous à vous deux !
      je ne signe pas vous devinerez peut-être qui je suis !
      Vous me verrez prochainement à St Co !

      Supprimer
  8. You did it! Congratulations! We know what you feel :-) Enjoy the moment, you allways will remember this.

    Jan-Willem & Saskia

    RépondreSupprimer
  9. You did it! Congratulations :-) We know what you feel right now. You will always remember this moment. Enjoy!

    Jan-Willem & Saskia

    RépondreSupprimer
  10. J'arrive quelques jours après ton arrivée. J'ai lu quelques uns de tes billets, quelle aventure géniale !
    C'est beau que tu l'aies fait.

    RépondreSupprimer