samedi 25 mai 2013

A-l’eau, non mais a-l’eau quoi, t’es en Norvège…


…et tu te plains parce qu’il pleut ! C’est comme si tu te plaignais de bronzer aux Baléares, non mais allô quoi !



J31 Mardi 21 Mai 2013    Geiranger - Molde 102km  /1200+

Cette journée n’aura rien eu de bien extraordinaire, temps gris tout le temps, un peu de pluie, encore pas mal de dénivelée pour s’extraire de Geiranger et basculer de l’autre côté et un final vers Molde sur une route à fort trafic, dans un épais brouillard, frôlé de près par mes amis les poids-lourds et l’impression d’être une bille de flipper quand survient le souffle d’air….
J’ai passé la nuit chez Robert, un contact Warmshower, et cela m’a permis de faire sécher la tente. On a parlé de ski, bien évidemment, mais pour changer de ski de rando en télémark, ils revenaient d’un gros we de 4 jours avec sa femme Berry. Elle n’était malheureusement pas là ce soir, retenue au travail…dommage car il se trouve qu’elle est physiothérapeute (kiné), on aurait sans doute eu des choses à se dire !

J32 Mercredi 22 Mai 2013    Molde - Aukan  110 km / 300+ 


Ce soir j’ai 70 ans, ou disons plutôt mes mains ont 70 ans. Comme quand on sort du bain. A la différence près qu’en sortant du bain on a une bonne serviette qui nous attend et il fait chaud.



En partant de Molde ce matin, les prévisions météo ne s’annonçaient pas bonnes, pour une fois elles étaient justes. Du coup j’ai sorti la tenue de combat avant même de partir. Veste + pantalon + couvre-chaussures Gore-tex, buff et casquette, capuche…..tel un combattant afghan je pars au combat contre la pluie en sachant pertinemment que j’ai perdu d’avance. On ne sait jamais, sur un malentendu…



Je m’éloigne un peu de l’itinéraire le plus direct pour prendre la direction de la route de l’Atlantique (Atlanterhesvegen), qui est une route touristique en bord de mer, qui joue à saute-moutons d’îles en îles avec un pont en virage assez impressionnant. Sur la route j’essaye de temps en temps de m’accorder des petites pauses dans les abribus. Mon œil de lynx aiguisé les repèrent de loin. Ils sont une halte salvatrice, un sanctuaire réconfortant, un refuge attendu.


 
Les meilleurs sont ceux en bois, assez profonds avec un banc bien large qui fait la longueur et aussi la largeur. Ainsi, selon le sens du vent et de la pluie, en prenant aussi en compte son frère jumeau de l’autre côté de la route il y a 6 possibilités de pouvoir s’abriter…..et donc très souvent dans le lot il y en a une qui convient. Je sais que la pluie ne s’arrêtera pas, mais ne pas entendre le clapotis des gouttes sur la membrane plastique de la capuche fait du bien. Et puis cela me permet de manger hé oui ! J’ingurgite des quantités assez impressionnantes de nourriture depuis quelques jours, mon organisme le réclame, mon métabolisme s’emballe…..je l’écoute et lui accorde.



Les drapeaux rouges au loin ne trompent pas, il y a un Rimi !! Rimi c’est une des marques de supermarché, qui comme beaucoup sont ouverts en semaine de 7h à 23 h non stop. J’en profite pour filer sur les tortillas, qui accompagnées de pseudo Nutella, de fromage ou de confiture s’avèreront un en-cas parfait comme d’habitude.
Et là en sortant je vois une petite table de jardin dans le hall avec un café et des biscuits, je me dis « eh ben ils vont même jusqu’à mettre des vrais pour donner envie d’acheter », et puis par acquis de conscience je demande au jeune vendeur. Il me dit « non non tu peux en prendre c’est gratuit, c’est un petit service offert au client ». Hallelujah !! Dégoulinant au milieu de ma flaque d’eau que la climatisation alimente, je m’offre un café bouillant moi qui n’en boit absolument jamais d’habitude. Et sans sucre en plus. Le vendeur me rejoint et on discute 10 minutes, bien sympa. 


1 cookie, 2 cookies, 3 cookies….hum ils n’ont pas pris la marque repère ils sont délicieux ! Avant de repartir, j’en prendrai encore quelques uns pour la route. Merci Rimi ;-)
Je finis par arriver sur la route de l’Atlantique et mis à part le premier pont je dois avouer que j’ai été un peu déçu,  je m’attendais à quelque chose de plus grandiose. Sur les photos en tout cas ça l’était.



Je passe les 3000 kilomètres un mois tout pile après être parti, le rythme n'est pas trop mal ;-)



Avant Kristiansund il y a un énorme tunnel sous la mer qui est complètement interdit aux vélos. On m'a dit qu'il était possible de prendre le bus mais vu comme je suis chargé j'en doute. 
Alors j'essaye de faire ce que je qualifierais de " stop qualitatif" qui consiste à faire du stop uniquement pour les camionnettes et les utilitaires ayant de la place pour moi et le vélo. 
Après une heure d'infructueux essais et ayant envie de garder mon pouce exempt de séquelles, je file en désespoir de cause voir le bus, qui contre toute attente m'accepte, à ma plus grande joie.

Après Kristiansund, trempé pour trempé, je continue malgré tout à rouler encore. Et maintenant que mes mains se sont "réchauffées" via une technique que je vais breveter à mon retour, je prends presque du plaisir à rouler sous la pluie, l'état d'esprit change, c'est après tout une situation que je ne maîtrise pas, il faut donc s'en accommoder et la gérer au mieux.



Je finis vers 18/19h par trouver un endroit pour la nuit sous un viaduc, mais les piquets sont très durs à planter sur le revêtement qui ressemble à du remblai ( j'avais volontairement oublié l'herbe, trop humide). La prochaine fois j'achète une tente autoportante c'est certain. Je bricole donc un système avec des élastiques et des grosses pierres pour remplacer les sardines. Je me dépêche à tout rentrer à l'abri, je me change rapidement et mets les pâtes à cuire.



Enfin le temps de se poser un peu et de réfléchir à cette journée. A bien y réfléchir je suis bien ici. J'ai ma gamelle de pâtes qui me réchauffe les cuisses, la buée du réchaud qui fait hammam, des petits gâteaux qui m'attendent et un bon livre pas loin. Je n'ai besoin de rien de plus. Certes demain il faudra repartir avec les affaires trempées, ranger tout dans l'humidité....mais laissons ça de côté pour le moment.

Dans une récente interview, à la question d'un journaliste qui était :

 " Faire de la montagne c'est se confronter à la nature, c'est une chose importante aujourd'hui, c'est une chose qui a encore sa place à l'heure où l' on fait du virtuel à tout va, où il est plus facile de jouer avec une console qu'avec la réalité ? "

 L'alpiniste Christophe Dumarest que j'apprécie beaucoup répondait en ces mots :

" Souvent les gens me disent, qu'est ce que ça doit être inconfortable un bivouac dans une face, avec le froid et tout ça, et pour moi finalement c'est peut-être là que se situe le confort car il y a une obligation d'être dans l'ici et maintenant, de vivre le présent et d'être quasiment obligé d'être là. Et ça pour moi c'est assez confortable en fait, en même temps à travers l'effort physique et la prise de risques parfois ça oblige à expérimenter l'instant et c'est vrai qu'aujourd'hui c'est une notion de plus en plus difficile car on est dans hier, on est dans demain, on est dans des mails, on est dans des messages,  on est dans plein de choses immatérielles qui ne servent pas forcément à un ancrage. Et c'est vrai que la montagne ramène à une forme de réalité, alors je ne sais pas si c'est LA réalité mais en tout cas une tempête, le granit, la glace, le froid, ce sont des choses bien réelles qui lavent l'individu qui lui font du bien, et en tout cas moi qui me ressourcent. "

Je ne peux qu'approuver son sentiment et je trouve qu'il y a une sorte de confort dans l'inconfort qui peut s'avérer délicieux si on sait l'apprécier. 
Sortir de sa zone de confort justement, c'est quelque chose auquel nous ne sommes plus habitués dans notre société actuelle. 
On la cherche mais peut-être qu'elle est plus néfaste qu'autre chose. Elle nous empêche de faire de nouvelles expériences, développe de fausses peurs, inhibe la spontanéité, limite la curiosité et finalement nous freine à explorer nos supposées limites, donc notre épanouissement et notre liberté.

Mais en sortir n'est pas facile car elle oblige à accepter l'éventualité d'un échec, puisque nous sommes confrontés à de nouvelles situations que nous ne maîtrisons pas, ou pas encore. Or il y a une part d'orgueil je pense en chacun de nous qui nous pousse à tout faire pour repousser cet échec, à éviter les situations difficiles, à rester dans le contrôle de notre petit environnement connu. 
On a le sentiment de devoir se remettre en question, de se retrouver face à un vide, de porter un regard sur nous-même...et ça peut faire peur !
En contrepartie, arriver épisodiquement à outrepasser cette barrière renforce la confiance en soi, stimule la créativité, développe des savoir-faire et des savoir-être et permet d'ouvrir son horizon.


N'apprenons-nous pas plus de nos échecs que de nos réussites ?

Que vaut-il mieux ? Prendre le risque d'échouer en ayant essayé ou bien rester dans une attitude d'attente passive ?
En d'autres termes, c'est une façon de voir les choses. 
Soit être acteur de ce qui nous arrive, avoir une attitude pro-active en ayant le choix de ses actions sans s'en remettre à une quelconque divinité extérieure, ou bien s'en remettre au cosmos et  à l'horoscope en espérant être né sous une bonne étoile.....

Sur ces quelques pensées, je vais dormir, cette fois la pluie est avec moi elle me berce. Qui a dit que le vélo ne développait que les jambes ? En tout cas cette journée aura été capitale, comme un tournant et je pense avoir évité le mur, youpi ;-)

Douce nuit.
Ju










4 commentaires:

  1. super discours !il est sûr que sur ton vélo tu as le temps de penser à tout cela ! Nous aussi me diras-tu mais nous sommes pris dans la vie et faisons les choses sans trop réfléchir. On se laisse bercer par la vie moderne quoi !
    bon , tu as vu mieux comme terrain pour dormir. Mais, peu importe, le principal es de bien dormir. Pas mal le système de "ptit déj." chez Rimi, c'est propre à leur enseigne ou c'est beaucoup pratiqué en Norvège ?
    et bien à demain Julien pour des nouvelles fraîches !
    bonne route
    marie-o

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  2. Merci pour ces quelques instants de philosophie ! Je partage une grande partie de ta conception de la vie, bien que je la tempérerais malgré tout légèrement. Il n'est pas nécessaire de s'imposer des épreuves pour vivre des expériences nouvelles et les partager avec d'autres. Et s'il est vital de tirer des enseignements de nos échecs, il l'est tout autant de nos réussites :-)

    Par contre, je te rejoins entièrement sur ce point : nos actions dépendent des contraintes que nous nous fixons et de celles que nous imposent notre environnement (incluant la société dans laquelle nous vivons), pas d'une quelconque force mystique.

    Continue de nous régaler par tes récits et tes réflexions !

    Kevin

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  3. On pourrait penser que tu es en pleine préparation pour ton épreuve de philo, c'est la période non ?
    Ceci dit, la journée n'a pas été géniale, il y en aura de meilleure, et, tu as su la gérer parfaitement.
    Les pâtes dans la gamelle, la pluie qui te berce, dodo... la nuit est douce.
    Bises.
    Maman

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  4. Julien, 3000km en un mois pas mal ...pas mal... c est même super ... bravo. Penses à bichonner tes mains,les mains c'est important pour un kiné!!!
    A+ Nicole

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